Au début du mois, j'ai été envoyé en pleine campagne pour enquêter sur une disparition dont on suposait qu'elle masquait un homicide. Le disparu était le fils d'un fermier de la région qui disait avoir trouvé une flaque de sang derrière une de ses granges. Je me suis alors rendu sur les lieux pour discuter avec lui et effectuer quelques prélèvements.
Arrivé sur les lieux, j'ai tout d'abord remarqué l'isolement du monsieur, aussi bien géographique que démographique, même si deux routes semblaient mener chez lui. Vivant seul avec son fils dans une grande maison collée à une forêt et à de nombreux kilomètres de la première bâtisse habitée, il faut lui reconnaitre que l'environnement possède en lui-même quelque chose d'inquiétant. Pourtant, la famille ne s'était pas faite remarquée depuis le décès de la femme du fermier, morte dans un accident impliquant un de ses plus proches voisins une dizaine d'années auparavant. Les deux hommes en sont restés en très mauvais termes, s'accusant l'un l'autre de négligeance, et se livrant ensemble à une petite guerre froide.

Le fermier m'accueillit gravement, trainant sa carcasse usée pour venir me saluer. Son teint jaunâtre n'était pas des plus engageant, mais il n'était rien en comparaison des glaires que l'homme recrachait en permanence. J'émettais rapidement l'hypothèse que le vieil homme avait noyé son chagrin dans l'alcool, comme bien souvent, et souffrait d'une cirrhose. J'en connaissais d'autres comme lui, mais là n'est pas le sujet. J'engageais alors la conversation pour me mettre au travail sans tarder. Le fermier ne voyait son fils que de temps en temps en fin de semaine. Celui-ci n'avait pas voulu reprendre l'exploitation de son père et étudiait au village. Le père était donc seul, avec son chien, à longueur de journée. Je commençais déjà à le plaindre... mais je n'avais pas encore entendu parler de ses horaires. En effet, du lundi au vendredi, et parfois le samedi aussi, il avait trop de travail pour être encore présent dans sa maison lorsque son fils se lève. Et le soir, c'était son fils qui rentrait généralement trop tard pour être là avant que son père aille se coucher. D'après le fermier, il y avait en plus de ce décalage une certaine tension entre eux deux. Le fils avait la vingtaine, l'adolescence, l'indépendance, etc... Toutefois, le père n'oubliait jamais de préparer le petit déjeuner et le dîner pour son fils, sauf parfois le week-end, son fils n'étant pas toujours présent. C'était le cas le dimanche précédent, à la différence que le lundi suivant le fils n'avait pas touché aux repas préparés par son père. Celui-ci s'était donc inquiété, et avait entrepris quelques recherches.
Le fermier estimait avoir des raisons de s'inquiéter. Quelques semaines auparavant, il avait cédé à la tentation d'importer de nouveaux moutons d'un exportateur tunisien. Son voisin avait fait un véritable scandale, étant lui aussi éleveur et cherchant à vendre ses bêtes pour se reconvertir dans l'agriculture. Bien qu'étant dans son plein droit, le fermier avait jugé utile de s'expliquer sur ce point. Déjà, il n'appréciait pas son voisin et ne voulait pas faire plaisir à un "meurtrier" comme lui, puisqu'il le jugeait responsable de la mort de sa femme, et maintenant de celle de son fils. De plus, il n'aurait même pas voulu donner les abats des moutons de son voisin en pâture à son chien, alors il ne risquait pas de les acheter, de les élever, et de finalement les manger... Au moins, les moutons qu'il avait achetés à la place étaient d'une espèce bien plus robuste que les siens, et il espérait que par croisements successifs la qualité de son cheptel en soit grandement améliorée en à peine trois générations.
L'homme avait commencé par errer benoitement dans les alentours, sans cesser d'appeler son fils. Peu après, il s'était rendu dans la grange que ce dernier avait quelque peu entreprise pour y passer du temps lorsqu'il voulait rester seul dans un petit coin à lui. Et c'est là-bas qu'il avait découvert la tâche de sang contre un mur à l'arrière de la bâtisse. Il avait immédiatement appelé la police sans rien toucher sur les lieux. Je lui demandais donc de m'y emmener, et effectuais quelques prélèvements.

Puis, lorsque tout fût terminé, je décidais de me rendre chez le voisin du fermier. Il m'indiqua la route, qui passait par l'autre chemin que celui par lequel j'étais arrivé, à travers la forêt. La route n'était visiblement pas très fréquentée, et je me fis la remarque que si le voisin avait bien tué le jeune fils du fermier, il avait dû prendre d'infinies précautions pour ne pas laisser de traces derrière lui. Excepté la tâche de sang bien entendu. Mes doutes commencèrent à s'évaporer lorsque j'aperçus quelques vêtements dans le fossé. Je m'arrêtais pour y regarder de plus près, et je me rendis compte qu'il s'agissait du corps d'un jeune homme. Il avait le teint jaune lui aussi, et en le reliant à celui de son père, je commençais à échaffauder une théorie sur une potentielle défaillance hépatique héréditaire. En dehors de ça, la peau était en de nombreux endroits irritée, comme lacérée, parfois jusqu'au sang. Je fis alors le nécessaire pour l'amener à l'autopsie en passant par la demeure du fermier afin qu'il l'identifie. Malheureusement, il s'agissait bien de son fils et son abattement me fit pitié.

Alors, j'entrepris d'aller voir le fameux voisin, pour de bon. Mais le témoignage de celui-ci vint bouleverser mes convictions. Apparemment, sa fille s'était acoquinée avec le fils disparu, et lorsque la famille appris le décès, tous semblèrent bouleversés, surtout la fille en question, qui monta dans sa chambre verser le fruit de ses sanglots. Le père me révéla que le fermier était certainement au courant de cette liaison, et qu'il tenait peut-être moins à son fils que lui tenait au bonheur de sa fille, bonheur qu'elle avait trouvé avec le fils du fermier. Alors, le responsable de ce meurtre avait bien plus de chance d'être le fermier, et que celui-ci avait sans doute voulu lui faire porter le chapeau en allant déposer le corps sur la route entre les deux foyers. Je n'avais en ma possession aucun moyen de confirmer l'une ou l'autre des versions, alors je décidais de chercher de nouveaux éléments avant de poursuivre l'interrogatoire.

Un peu plus tard, on me fournit les rapports d'analyse de la tâche de sang et d'autopsie du corps retrouvé. Pour la tâche, il s'agissait en fait d'urine mais elle contenait des traces d'hémoglobine et était surchargée en bilirubine, symptôme habituel d'une dégradation massive de globules rouges. Pourtant, la cause du décès était tout autre, l'autopsie ayant en effet révélé une grave septicémie, causée par de nombreuses lésions dans les organes de la victime.
Je n'y comprenais plus rien. J'avais au moins deux suspects, et voilà que la cause de la mort était à la fois humaine  mais aussi pathologique. Les multiples lésions ainsi que les marques sur la peau pouvaient témoigner d'un passage à tabac qui aurait conduit à la mort. Mais le teint jaune et le sang et la bilirubine dans les urines, vraisemblablement très antérieurs au jour du décès, plaidaient plutôt pour un problème de santé.
Mais que s'était-il réellement passé ?


Est-ce un meurtre, une maladie, encore autre chose, ou tout à la fois ? De toutes façons, qui ou quoi est le responsable de la mort et de quelle manière ? Comment est-ce possible ? D'autres individus sont-ils menacés, et pourquoi ? Les réponses à toutes ces questions se trouvent dans
la Phase 1 de La Fuite du Cerceau !
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