La pomme ⁂
Pour l'heure, Pitou est assis contre un arbre et regarde les oiseaux fouiner dans l'herbe à bonne distance. Le ballet se poursuit encore quelques minutes jusqu'à ce que l'un d'entre eux, satisfait de ses recherches, rentre en faire part à sa famille. Il vole vers Pitou, et celui-ci le suit des yeux. L'oiseau se rapproche toujours plus, il plonge littéralement vers Pitou qui commence à prendre peur. Mais au dernier moment, juste avant que l'oiseau ne s'écrase contre le petit troll, il s'élève brutalement dans les airs, et atterrit sur le bord de son nid, installé dans les branches de l'arbre. Pitou de redresse pour observer la nouveauté. Un petit tas de fines branchettes sont entrelacées là-haut, et l'oiseau a disparu à l'intérieur. Pitou a déjà vu beaucoup d'oiseaux, notamment dans les arbres, mais ceux-ci se contentent généralement d'y grapiller quelques morceaux de fruits avant de repartir. Pitou attend, mais l'oiseau ne semble pas vouloir repartir. Intrigué, Pitou entreprend d'aller voir par lui-même.
Pitou envisage l'escalade du pommier. Il place ses bras velus autour de l'arbre et tente de pousser avec ses pattes arrières. Il croit réussir lorsqu'une poussière de bonne taille vient s'échouer dans son oeil. Pitou retombe et se frotte les yeux. Il a appris que ce genre de choses arrive et on lui a expliqué que ce n'est le fait de personne. Mais justement, cela l'énerve. Pitou n'arrive pas à saisir comment des évènements aussi ennuyeux peuvent arriver tout seuls. Il sait bien que le vent porte parfois des grains de sable jusqu'à son visage, mais il soupçonne toujours quelqu'un d'en avoir lancé une poignée en l'air dans sa direction afin de le provoquer. Pitou n'est pas content, mais très vite, il reprend conscience de son objectif principal : retrouver l'oiseau disparu.
Pitou tente alors une autre approche. Plutôt que de grimper la tête en l'air, ses yeux offerts à tout intrus, il va recommencer sans regarder. De toutes façons, il faut aller toujours tout droit, vers le haut, ça n'a rien de vraiment difficile. Pitou reprend sa position d'escalade et réussit quelques brassées en direction de la cîme de l'arbre. Confiant de la réussite de son entreprise, Pitou accélère le mouvement. Il se débrouille plutôt bien, et arbore un sourire fier et soulagé. Ses yeux n'étaient pas indispensables, finalement. Pitou grimpe et calcule le trajet qu'il lui reste avant d'atteindre les premières branches. Ses calculs tendaient à lui indiquer qu'il était arrivé lorsqu'il cogna son crâne contre la première d'entre elles. Par réflexe, Pitou se frotte la tête pour atténuer la douleur, et glisse jusqu'en bas du tronc. Si seulement il avait gardé les yeux ouverts, il aurait été mieux renseigné sur la proximité du bout de bois.
Pitou trouve enfin la solution. Il va garder les yeux ouverts mais sans lever la tête. En regardant la masse du feuillage, il devrait se rendre compte facilement d'où il en est. Qui plus est, aucune branche n'arriverait à passer suffisamment inaperçue pour s'en prendre à son crâne sans qu'il n'ait pu la voir venir. C'est certainement la meilleure chose à faire. Alors, Pitou reprend son escalade, motivé par sa future découverte, mais le moral légèrement en berne. Heureusement, son aisance accrue rend l'ascension bien plus agréable que lors de ses premiers essais. Ses pattes enchaînent les mouvements de plus en plus naturellement, jusqu'à ce que l'une d'elle ne rencontre violemment une écharde. Une ancienne branche avait dû se trouver là, avait, mais aujourd'hui elle n'y était plus, et il ne restait d'elle plus qu'un bouquet d'échardes plantées dans l'arbre. Pitou, surpris par la vive douleur, retire sa patte, puis la deuxième, et lâche complètement prise. Il flotte quelques instants, avant de choire lourdement. Pour couronner le tout, une pomme s'est élancée à sa poursuite et, en fin de course, percute brutalement le crâne de Pitou. Là, Pitou n'en peut plus.
Une impressionnante paire de machoire broie une petite pomme tombée alentour. Puis, elle se plante dans l'écorce, tel un piège à loup, et arrache en une première bouchée un morceau de bois. A sa place, quelques gouttes de sève commencent à se former, mais le monstre de crocs revient à la charge, secouant l'arbre jusqu'à la moindre branche. Plus haut, ce sont deux oiseaux qui abandonnent leur nid pour échapper à la catastrophe. Mais le rythme s'accélère et le pommier sombre lentement comme un navire qui prend l'eau. Sur le côté d'abord, puis tout entier. A son pied, un nuage de sciure se répand, agrémenté bientôt de vert de chlorophylle. A ce mélange s'ajoute également le jus des fruits, formant alors une énorme boule de plasma qu'anime un moteur de poils et de muscles. Mais la recette ne serait pas complète sans une bonne dose de protéines. Par chance, une colonie d'insecte se trouve là, ainsi qu'une demi-douzaine d'oeufs, s'incorporant au reste et le faisant écumer. Enfin, lorsque tout est bien homogène, l'appareil retombe, prêt à cuire. Ce qu'il fera sur le sol brûlant de l'activité récente.
Quand enfin la mousse est retombée, on retrouve un petit troll épuisé, trônant allongé au milieu d'une énorme omelette aux pommes, entre autres choses. Pitou ronfle déjà, recouvert par la couette semi-alimentaire, à l'endroit même où se tenait, quelques minutes auparavant, un pommier en pleine santé. Finalement, il n'a pas découvert le secret des oiseaux, mais de toutes façons, il l'a déjà oublié. Non loin de là, deux passereaux s'empressent de refaire leur nid, sans vraiment espérer y retrouver leurs oeufs perdus. Leur préoccupation principale, c'est de reconstituer quelque réserve de nourriture.
Pitou rêve dans son cocon organique. D'un rêve qui tourne rapidement au cauchemar, où il voit sa tête heurtée violemment. Il se réveille et gigote dans son duvet aux pommes. Sa tête est véritablement douloureuse, mais aucun signe flagrant d'agression. Pitou sait que ça arrive, d'avoir mal pour rien. Alors, lassé, il se rendort. Mais autour de sa couverture comestible, de nombreux animaux se sont approchés pour pouvoir en croquer. Parmi eux, deux oiseaux en quête de nourriture ont choisi pour perchoir la butte formée par le corps de Pitou. Et régulièrement, ils en picorent un morceau pour le ramener chez eux. Parfois, ils trouvent des poils dans leur omelette, mais ils ne sont pas difficiles et ne s'en plaignent pas. Par contre, en dessous de l'épaisse bouillie, un petit troll ressent chaque coup de bec comme un martèlement. Il n'est pas près de dormir. . .