- Bonjour patron !
- Tiens, vous êtes là ?
- Et oui !
- Que se passe-t-il ? Il est à peine 18H...
- Et encore, j'aurais pu arriver beaucoup plus tôt.
- Ah mais il ne fallait pas vous gêner pour moi. Encore si vous arriviez en avance, je crois que le choc serait trop important pour moi, mais disons une heure de retard, déjà, ça serait pas mal.
- Oh vous êtes si gentil patron, merci.
- Oui, de rien...
- Mais ça a failli arriver aujourd'hui, si je n'avais pas eu à faire face à quelques imprévus.
- J'imagine que votre journée a été passionnante...
- Non, pas vraiment en fait.
- Je suis impatient de savoir.
- Alors voilà, comme vous l'avez remarqué, je pars de plus en plus tôt pour arriver à l'heure, et je n'y arrive jamais.
- J'en témoigne.
- Alors ce matin, j'ai fait comme si de rien n'était et je me suis levé comme tout le monde. Je me suis préparé et j'ai grimpé dans ma voiture, quarante minutes avant l'embauche, ce qui me laissait largement le temps d'arriver.
- Oui, comme vous dites.
- Mais en ouvrant la porte du garage, j'ai remarqué que quelque chose clochait.
- Comme c'est surprenant.
- Il y avait des barrières métalliques devant chez moi, dans la rue, et je ne pouvais pas la rejoindre en voiture. J'ai arrêté la voiture et je suis donc sorti à pied pour aller voir.
- Et alors ?
- Alors c'est toute la rue qui était bloquée ! Des barrières à perte de vue. Accrochées entre elles et couvertes de banderoles publicitaires.
- Vraiment pas de chance.
- Je vous le fais pas dire. J'ai donc commencé à décrocher une barrière pour m'ouvrir un passage, mais ce n'était pas suffisant alors j'en ai ouvert une autre. Sur la route il y avait de drôles de voitures bariolées qui passaient, et je les ai observées un peu, pour tenter de comprendre vous voyez.
- Je vois.
- Rien que ça et je commençais déjà à être en retard.
- Alors qu'avez-vous fait ?
- J'ai sauté dans ma voiture et j'ai démarré à toutes blindes pour rattraper mon retard. Je me suis enfin engagé dans la rue, et comme la rue était déserte j'ai entrepris de refermer la barrière. Il y avait sans doute une kermesse pas loin, parce que j'entendais le son de la musique diffusée dans un mégaphone. Quand j'ai commencé à refermer la seconde barrière, de grands chars de fête sont apparus à un bout de la rue.
- Une manifestation ?
- Non non, c'était vraiment une sorte de fête bizarre. Il n'allaient pas très vite mais il se rapprochaient inexorablement. Alors j'ai abandonné la barrière pour récupérer la voiture. Le problème, c'est que les chars prenaient toute la route, et qu'ils n'allaient pas dans le bon sens.
- Bien évidemment.
- Comme vous dites, il faut toujours que ça me tombe dessus. Bref, je me suis dit que j'allais faire un petit détour et arriver en retard d'une heure peut-être, maximum.
- Ce qui serait tombé plutôt bien.
- C'est à dire.
- Non mais par rapport à ce qu'on disait tout à l'heure.
- Ah oui, je vois ce que vous voulez dire.
- Et ben c'est pas gagné...
- Non, en effet, j'ai roulé jusqu'à la prochaine intersection, mais la voie était toujours balisée et je ne pouvais pas m'en écarter. Et les chars arrivant derrière, je ne pouvais pas ouvrir une des barrières. Alors je me suis dit que j'allais prendre de l'avance pour gagner du temps, justement.
- Bonne initiative.
- Oui, mais en même pas deux minutes, je me retrouvai dans un bouchon. Plein de voiture alignées qui roulent au pas.
- Je sais ce que c'est un bouchon...
- J'ai vraiment la poisse, non ?
- En effet.
- Mais vous me croyez hein ?
- Ai-je le choix ?
- Mais enfin patron, qu'est-ce qui vous arrive, il faut pas se laisser aller comme ça, vous avez l'air tout déprimé.
- Blasé. Le mot c'est blasé. Bon, ensuite ?
- Ensuite et bien j'ai suivi la file de voiture jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de barrière. Le problème, c'est qu'au bout de deux heures j'ai commencé à en avoir marre. Surtout que je n'allais pas dans le bon sens.
- Et vous avez eu une idée géniale.
- Voui, enfin, je ne sais pas trop. Je me suis collé aux barrières, et j'ai attendu que le cortège de chars passe, pour pouvoir repartir en sens inverse.
- Mais, vous n'aviez pas dit qu'ils prenaient toute la largeur de la rue ?
- Euh, ben voilà, en fait au bout de deux heures j'avais oublié. Et quand j'ai réalisé c'était un peu tard.
- Qu'entendez-vous par "un peu tard" ?
- J'étais incarcéré dans ma voiture, avec tout autour des barreaux pour m'empêcher de m'enfuir.
- Hein ?
- Ben oui, les barrières étant toutes solidaires, et quand le premier char a poussé la voiture dans l'une d'elle, les autres ont suivi, et le cortège les a enroulées au fur et à mesure autour de nous. J'ai donc appelé les pompiers, mais ils ont mis des heures à intervenir.
- Des heures ? Vous parlez d'une urgence !
- Le plus étrange, c'est que pendant que je les attendais j'ai regardé la fête, et j'ai reçu tout un tas d'objet inutiles.
- Quel genre ?
- De tout, vraiment. D'ailleurs, je vous ai ramené une casquette. Regardez, y'a une marque de saucisson sur le dessus.
- Vous êtes vraiment trop généreux.
- Non ne dites pas ça, ça me fait vraiment plaisir.
- Bon, et les pompiers alors ?
- Attendez, ce n'est pas tout. Après les chars, j'ai vu plein de gens en vélo.
- En vélo ? Non mais c'est n'importe quoi !
- Je vous jure, plein de gars, plutôt pressés à ce que j'en ai vu, qui essayaient de rattraper les chars sans doute. Il y avait bien deux ou trois voitures autour d'eux, mais les vélos avaient pris le contrôle, manifestement.
- Une chance que la vôtre était à l'arrêt.
- Oui, une chance !
- Et après les pompiers.
- Voilà voilà...
- Et ?
- Les gendarmes m'ont emmené faire une déposition et, comme je n'avais rien, ils m'ont appelé un taxi pour rentrer. D'ailleurs, il se fait tard, je dois y aller.
- Mais, et la voiture ?
- Vous ne préférez pas la revoir, je vous le garantis. Bon allez j'y vais maintenant j'ai demandé au chauffeur du taxi de m'attendre et le compteur tourne. Demain je vous amènerais la facture, salut !
- Mai...hmpf !
Retour à l'accueil