Nouvelle initialement rédigée dans le cadre du Concours de Nouvelles Albertine Sarrazin 2009.

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- Bonjour, Monsieur de Sangret. Ou, dois-je vous appeler Di Delphe ?

- Bonjour. Non, ça n'est pas nécessaire.

- Vous savez pourquoi vous êtes là ?

- Je m'y attendais.

- Bien, vous allez nous éviter tout le blabla inutile pour en venir directement à l'essentiel. Alors, dites-moi, pourquoi avez-vous fait ça ?

- Parce qu'il le fallait. Les gens doivent savoir.

- Ah. Les gens. Connaissez-vous des gens, Alain ? Oh, vous ne m'en voudrez pas de vous appeler par votre prénom ?

- Faites ce que bon vous semble. De toutes façons, c'est ce que vous ferez, si j'ai bien compris.

- Ah, je vois que la situation ne vous aura pas échappé. Je vais donc me permettre de vous reposer la question : connaissez-vous des gens ?

- Si j'en connaissais, vous leur feriez subir le même traitement ?

- Voyons, Alain, nous sommes entre nous. Vous savez très bien que je ne vous répondrai pas. Mais c'était bien essayé. Alors, qui sont ces gens ? Sont-ils comme vous ?

- Cela dépend. Dites-moi, qu'ai-je de si particulier ?

- Ah, Alain, Alain, vous le savez très bien. Vous appréciez la poésie ?

- Vous voulez parler de votre poésie ?

- Oh, mais quel petit malin nous avons là ! Insinueriez-vous qu'il y a la bonne poésie et la mauvaise ?

- Hum, vous n'êtes pas très loin de ce que je pense en réalité.

- Très bien ! Parfait ! Vous comprendrez dès lors qu'un tri soit nécessaire. Etant donné le nombre effarant d'oeuvres qui circulent déjà, et de celles qui sont encore publiées chaque jour, vous conviendrez qu'il est naturel qu'un choix soit effectué à la source. Afin de n'en garder que l'essentiel, voyez-vous, le meilleur, pour que tous ces gens que vous chérissez tant évitent de s'égarer. Leur temps est précieux, Alain, vous le savez. Aucune déception, aucune indignation ne doit venir troubler leur quiétude, leur sérénité. Vous êtes capable de comprendre ça, Alain, n'est-ce pas ?

- Les gens n'ont pas besoin de vous.

- En effet, vous n'avez pas tort. Moi-même, je ne suis pas indispensable. Pour personne. Demain, dans trois ans, qui sait, quelqu'un me remplacera. Mais pour l'instant, c'est avec moi que vous allez devoir traiter. Et vous avez de la chance, je suis quelqu'un de très compréhensif. Il paraît même que je suis patient. Mais comme tout le monde, j'ai mes limites. Je ne suis qu'un être humain après tout, avec les faiblesses que cela implique. Comme vous, comme n'importe qui.

- Vous n'êtes ni ne serez jamais comme moi.

- Ah bon ? Et qu'est-ce qui vous rend si différent ?

- L'indépendance. La liberté.

- Bravo Alain, vous connaissez de sacrés mots. D'où les avez-vous donc tirés ?

- C'est... un héritage. Nous nous transmettons le dictionnaire familial de père en fils depuis des générations.

- Quelle idée surprenante ! Et ce dictionnaire, où se trouve-t-il ?

- Pourquoi vous le dirais-je ?

- Si vous le voulez bien, j'aimerais convenir avec vous d'un petit arrangement. Comme vous ne semblez pas bien comprendre qui pose les questions ici, nous allons procéder autrement. A chaque point d'interrogation que je trouverai dans vos phrases, même s'il s'agit d'un simple haussement de sourcil, j'appuierai sur ce bouton. Savez-vous de quoi il s'agit ?

- Oui.

- Bien évidemment. Suis-je bête, puisque vous nous connaissez par coeur. Alors, de quoi parlions-nous ? Oh, oui, d'un dictionnaire. Où se trouve-t-il actuellement ?

- Je ne sais pas.

- Alain... Voulez-vous vraiment que je convienne d'un nouvel arrangement avec vous ?

- Non, ça ne sera pas nécessaire. Je ne sais vraiment pas. Je l'ai abandonné dans une salle de restauration avant de publier une annonce à ce sujet. Quelqu'un l'a récupéré, et je n'ai aucun moyen de savoir de qui il s'agit.

- Très ingénieux, Alain. C'est votre idée ?

- Vous savez très bien que non. Ce procédé existe depuis très longtemps. Il permet de faire découvrir des oeuvres qu'on ne trouve nulle part aux gens curieux.

- Des oeuvres qu'on ne trouve nulle part ? Savez-vous qu'en disant ceci, vous ajoutez encore à votre dossier ?

- Oui.

- Alors pourquoi appeler ces rebuts du système des « oeuvres » ?

- Parce que je m'exprime avec les mots que je choisis. Et vous ne pouvez m'en empêcher.

- Je pourrais essayer.

- Mais vous ne le ferez pas. Vous voulez que je sois conciliant. Vous savez que me torturer sans raison risque de vous faire rater de précieuses informations.

- Alain, auriez-vous oublié que nous pouvons sonder l'intérieur de votre crâne et en extraire toutes vos pensées ?

- Si c'était le cas, vous ne seriez pas en face de moi, mais derrière l'écran de votre derrick mental.

- Logique. Vous êtes quelqu'un de sensé, Alain. De brillant, même. Mais, vous est-il seulement venu à l'idée que, peut-être, j'aie voulu vous rencontrer d'abord. Peut-être que je veux vous comprendre.

- Ce que vous voulez surtout, c'est répliquer mon schéma cérébral pour anticiper ceux de mes pairs. Et pour ça, il faut que vous me fassiez réfléchir. Je ne vous ferai pas ce plaisir.

- Très bien, ce n'est pas grave. De toutes façons, n'avons-nous pas tout notre temps pour découvrir ce que vous nous cachez ? Et vous devez savoir que vous serez harcelé de question jusqu'à ce que je tombe sur celle qui vous fera vous trahir.

- Je le sais. Je n'ai rien à cacher.

- Très bien. Venons-en à l'essentiel voulez-vous ? Croyez-vous vraiment à ce que vous avez écrit ?

- Je n'ai pas besoin d'y croire, malheureusement.

- Vous voulez dire que c'est votre interprétation de la vérité et que vous n'en changerez pas ?

- Ce n'est pas une interprétation, pas même une description subjective.

- Très bien, alors qu'est-ce exactement ? Une fiction ?

- Une retranscription. Elle n'a besoin de rien de plus.

- Voyez-vous ça ? Alors vous pensez que... Non ! Alain, voyons. En admettant que cette personne ait existé, et que nous l'ayons interrogée, ce qui n'est pas le cas, comment auriez-vous pu savoir la manière dont tout ceci s'est produit ? Vous n'étiez pas là, à ce que je sache.

- Mais je suis là, maintenant.

- En effet, et quel est le rapport ?

- En admettant que j'existe et que vous m'interrogiez, c'est exactement de cette manière que ça se produit.

- Très bien, alors disons que vous avez raison. Oui, disons que ce « Di Delphe » de votre histoire a existé. Et d'ailleurs, pourquoi lui avoir donné pour nom votre propre pseudonyme ? Cette personne n'avait-elle pas un nom à elle ?

- Le Di Delphe n'est pas un surnom. C'est un titre.

- D'accord, Alain. Je crois que je veux bien accepter ceci. Mais cela ne change en rien notre problème. D'où tenez-vous vos informations ?

- Je n'ai aucune information.

- Aucune information ? C'est troublant. Très troublant. Je suis troublé, Alain. Vous n'avez aucune information ?

- S'il s'agissait d'une information, cela voudrait dire que tout ceci a bien existé. J'estime pour ma part qu'il s'agit d'un aveu.

- Et alors ? Qu'allez-vous en faire ? Le raconter ?

- Je pourrais, mais ça ne sera pas nécessaire.

- Effectivement. Personne ne vous croirait !

- Peut-être. Peut-être pas. Mais si vous en étiez persuadé, vous ne m'auriez pas fait venir jusqu'ici j'imagine.

- A combien d'exemplaires votre texte a-t-il été distribué ?

- Je ne sais pas.

- Allons, faites un effort.

- Vous le savez sans doute mieux que moi.

- Tiens donc. Et qu'est-ce qui vous fait penser ça, Alain ?

- Comme je vous l'ai déjà dit, vous ne m'auriez pas amené ici si l'ampleur de mon oeuvre ne vous faisait courir aucun risque.

- Ne seriez-vous pas quelque peu prétentieux, cher Alain ?

- Non. Je suis fier d'être arrivé jusqu'ici, et je n'ai plus rien à perdre.

- Mais vous avez tant à gagner ! Une fin de vie paisible, par exemple, avec nous, dans une résidence d'un niveau de confort gouvernemental.

- Je préfère encore mourir ici et maintenant.

- Ne me tentez pas.

- Vous pensez pouvoir résoudre un problème en éradiquant toutes ses conséquences.

- Quelle différence ça fait ? Un problème sans conséquence n'est pas un problème.

- Alors s'il n'y a pas de problème, laissez-moi partir.

- Mais vous n'êtes pas un problème, Alain, vous êtes une conséquence.

- Vous reconnaissez donc qu'il y a une cause, soit un problème.

- Vos tours d'acrobate des mots ne m'impressionnent pas, Alain. J'ai été patient avec vous. Ne soyez pas ingrat voulez-vous, et dites-moi ce que je veux savoir. Quels sont les canaux de distribution que vous avez utilisés ?

- Je ne sais pas.

- Alain... Je vais finir par vous trouver désobligeant...

- Une fois de plus, je n'en sais rien. Je n'ai fait qu'écrire cette nouvelle. Puis, je l'ai communiquée à des contacts que je ne connais que par un pseudonyme et que je n'ai jamais rencontrés. Ils ont décidé de la distribuer à plus grande échelle, et visiblement, ils ont bien fait leur travail. Tous n'attendaient plus que ça.

- Mais pour qui vous prenez-vous, Alain ? Pour le Messie ?

- Quelque chose comme ça. J'ai ce qui caractérise un tel personnage, non ?

- Vous me posez une question ?

- Non, excusez-moi.

- Bien, je préfère. Donc, si je comprends bien ce que vous me dites, vous n'avez pas d'informations, et vous ne savez même pas estimer la notoriété de votre texte.

- Je n'en ai pas besoin. Ce texte ne m'appartient pas.

- Comment ça ? Vous n'en êtes pas l'auteur ?

- Si, bien sûr, je l'ai écrit, effectivement. Mais je n'étais pas seul. La société m'a forcé à l'écrire, puis je l'ai offert à l'Homme. Je sais qu'il en fera bon usage.

- Vous voulez que je vous dise, Alain ? L'Homme, comme vous dites, n'en fera rien. Il vous oubliera, comme tous les autres avant vous.

- Cette fois-ci, ce sera différent.

- Différent ? Vous n'imaginez même pas combien de fois j'ai pu entendre cette phrase. Ce qui va plutôt dans mon sens, d'ailleurs. Vous dites la même chose, vous n'êtes donc pas différent.

- Moi, non. C'est le texte.

- Et qu'a-t-il de particulier, ce texte ?

- Il se renouvelle. Il sera toujours d'actualité. Et il vous poursuivra.

- Des menaces ?

- Non, un constat.

- Peu importe. Je n'ai pas peur de votre texte. Ce ne sont que des mots, Alain. Ils n'ont aucun pouvoir.

- Pourtant, ils nous ont amenés à nous rencontrer. Et, déjà, ils agitent le peuple.

- Le peuple a bien d'autres choses à faire que vous lire, Alain. Et nous sommes là justement pour lui éviter de se donner tant de peine.

- Vous avez le pouvoir, mais il ne peut pas aboutir à un contrôle total.

- Et pourquoi donc, dites-moi ?

- Tout simplement parce que si vous avez un agent derrière chaque personne...

- Ce qui est le cas...

- … vous en avez alors tellement qu'il vous est impossible de leur faire tous confiance.

- Voulez-vous attirer mon attention sur un problème de fuite interne ? Connaissez-vous un ou des agents véreux ? Est-ce de cette manière que vous avez obtenu vos informations ?

- Ne me posez pas tant de questions à la fois, je pourrais croire que vous commencez à paniquer.

- Mais pas pas pas du tout. Je sais ce qui est juste, voilà. Je sais ce qu'il faut, et ce qu'il ne faut pas. Comme vous, par exemple. Vous entravez le bon fonctionnement de notre société.

- Je ne suis qu'un grain de sable dans le désert.

- Oui, mais celui qui s'est bloqué dans le mécanisme.

- Dans votre mécanisme, peut-être. Mais ce n'est pas le mien.

- Mais enfin Alain, que voulez-vous ? Perdre tous les progrès de ces dernières décennies ?

- Les progrès ? Ceux-là même qui me forcent à subir votre interrogatoire ?

- Ils sont nécessaire Alain ! J'en suis désolé, mais il le faut. Vous représentez un danger !

- Pour qui ?

- Mais pour tout le monde ! Si le système venait à s'enrayer, le peuple le premier en pâtirait. Est-ce ce que vous voulez, Alain ? Faire du mal à tous ces gens ?

- Bien sûr que non. Je veux seulement qu'ils sachent.

- Mais ils n'ont pas besoin de savoir, Alain. Ils sont plus heureux comme ça. Toute la population, plongée dans le bain nutritif de notre société...

- Dans lequel elle se noie.

- Elle lui donne sa confiance, Alain, et obtient en échange une vie sereine.

- Une vie d'esclave.

- Mais un esclave sans chaînes. Un homme libre.

- Je ne suis pas un homme libre.

- Vous c'est différent. Vous n'avez pas suivi les règles. On vous a donné le monde pour terrain de jeu, et vous voulez rejoindre une autre planète. Vous êtes en dehors du cadre.

- Mais je n'y suis pas seul.

- Non, bien entendu.

- Vous-même, vous n'y êtes pas.

- Pas tout à fait, effectivement.

- Concrètement, personne ici n'est dans votre cadre.

- Parce que le cadre n'est pas pour nous.

- Alors c'est qu'il n'est pas légitime.

- D'accord, et que proposez-vous à la place ? L'anarchie ? Chacun pouvant écrire et dire tout et n'importe quoi ? C'est la jungle, Alain, que vous nous proposez. La jungle est dangereuse, pleine de prédateurs. Vous-même, vous n'y tiendriez pas une journée. Mais dans notre cadre vous êtes venu au monde, vous avez grandi, et vous êtes devenu un beau jeune homme.

- Puis, votre cadre va m'éliminer.

- Ne soyez pas pessimiste, allons. Auriez-vous préféré ne jamais avoir la chance de vivre ?

- Le cadre n'a pas toujours existé.

- De la préhistoire. Voudriez-vous vraiment retourner vivre dans la préhistoire ?

- Ce n'est pas ce dont il s'agit. Il existe d'autres alternatives.

- Croyez-vous en l'évolution, Alain ? Darwin, ça vous dit quelque chose ?

- Oui.

- Et bien figurez-vous que la dernière évolution de l'être humain, c'est le cadre. Et cela dure depuis des siècles. Vous n'ignorez pas ce qu'ont été les ravages de la famine, du manque de soins, de médicaments. Dans le cadre, personne n'est laissé de côté. Tout le monde mange à sa faim.

- Mais pas plus.

- Pardon ?

- Je dis : « Pas plus. »

- Que voulez-vous dire ?

- Dans votre cadre, chacun est assuré de vivre convenablement. Comme chaque autre. Comme ses parents avant lui, et bis repetita. Il mange ce qu'on lui donne, il lit ce qu'on lui propose, il dort quand on lui demande. L'Homme n'est plus qu'un animal domestique.

- Et alors ? Quelle meilleure vie que celle d'un animal domestique ? Aimé, chéri, il n'a aucun besoin qui ne soit immédiatement contenté. Il ne manque de rien, il vit dans un rêve !

- Et aussi dans une cage.

- Oui, Alain, c'est vrai, mais quelle importance, lorsqu'il n'y a rien en dehors de la cage qu'il n'a pas déjà ?

- Vous ne voulez pas comprendre. Il est trop tard pour vous de toutes façons.

- Mon pauvre Alain, vous faites fausse route. Je n'ai pas besoin d'être sauvé. Votre cas, par contre, est des plus préoccupants.

- Je ne crois pas. Si vous me tuez, vous ferez de moi un martyr plus qu'un exemple. Les gens ne veulent plus d'exécutions arbitraires. Ils se soulèveront.

- Vous oubliez quelque chose, mon cher. Vous n'avez jamais existé. Sans vie, pas de mort. Sans mort, point de martyr.

- Il restera toujours mon texte.

- Et bien nous l'attribuerons à quelqu'un d'autre, plus enclin à faire ses excuses publiques. A moins, bien entendu, que vous acceptiez de vous repentir, et de travailler avec nous.

- J'en doute.

- C'est votre dernier mot, vous êtes sûr ?

- Je doute que mon texte puisse être attribué à quelqu'un d'autre.

- Vous pouvez douter. Mais vous l'avez dit vous-même, vous ne l'avez même pas communiqué à des gens que vous connaissiez. Vous n'êtes qu'un numéro. Il nous suffira de remplacer la personne qui occupe ce numéro.

- Une fois de plus, j'en doute.

- Et qu'est-ce qui vous rend aussi sûr de vous, dites-moi ?

- Vous n'aurez pas le temps.

- Le temps, Alain, toujours le temps. Nous en avons à revendre, du temps. Quand bien même je ne m'occupais pas de votre affaire, quelqu'un d'autre le ferait, plus tard, pour un résultat similaire. On est si peu de choses, Alain, vous savez. Tout au plus quelques lignes dans le texte infini de l'histoire humaine.

- Je le sais, Thibaut, je le sais.

- Que... Comment ?

- Oh, désolé, vous ne vous appelez pas Thibaut ?

- Qui vous l'a dit ?

- Mais c'est vous même.

- Vous mentez ! Je suis certain de ne jamais avoir mentionné mon nom.

- Pas cette fois-ci, effectivement.

- Que voulez-vous dire par là ?

- Une autre fois, peut-être.

- Ceci est notre première conversation, Alain.

- En êtes-vous sûr ?

- Et bien, disons, oui. Depuis que j'enquête sur vous, vous savez, j'ai appris à vous connaître par coeur. Au point d'en rêver la nuit.

- Je suis flatté.

- J'ai pensé vous attraper moi-même de nombreuses fois, et... Il y a même eu quelques cauchemars très désagréables dont vous étiez le sujet principal.

- Je vous faisais peur à ce point ?

- Pas du tout. Nous étions même amis. C'était insensé. Oui, voilà, c'est ça, plus rien n'avait de sens !

- Etes-vous certain de l'avoir rêvé ?

- Oui.

- Alors les drogues de votre « cadre » sont très efficaces. Nous nous connaissons depuis l'enfance, Thibaut.

- Ha, ha, très drôle, Alain. Pas très fin, mais terriblement amusant.

- Vous pouvez en penser ce que vous voulez, mais nous nous fréquentons depuis une bonne trentaine d'années.

- Et nous n'aurions jamais pensé à nous tutoyer peut-être ?

- Oh, si, nous avons même commencé par ça. Nous étions si jeunes à l'époque. Vous voulez que je vous raconte ?

- Le désespoir vous pousse à dire n'importe quoi, Alain, vous feriez mieux de vous calmer, et d'accepter votre sort. Collaborez !

- Vous souvenez-vous du début de cette conversation ? Il semblait évident que vous vouliez utiliser le « vous », alors j'ai fait comme vous.

- A vrai dire, non, je ne m'en rappelle pas très bien... mais, j'ai les enregistrements, si vous souhaitez que nous les examinions ensemble.

- Oh, alors vous avez oublié. Ne vous inquiétez pas, c'est normal.

- Mais... comment le sauriez-vous ? Et, à la fin, que savez-vous donc ?

- Avez-vous lu mon texte, Thibaut ?

- Oui.

- Très bien, alors comment se finit-il ? De quoi parle-t-il ?

- Euh... Je... ne sais pas. Je ne parviens pas... à me rappeler. Mais je l'ai, juste là, attendez...

- Ce ne sera pas nécessaire, je vais vous le dire, moi. A la fin de mon texte, Thibaut retrouve peu à peu sa mémoire. Etrangement, son agenda n'a pas sonné pour lui rappeler son injection, et...

- Mon injection ? Mais...

- … et captivé qu'il était par sa prise, nommée Alain, il n'y a pas fait attention. Alors, à mesure que leur amitié reprend place dans sa mémoire, il comprend ce qui lui arrive. Tout ceci, il l'avait prévu depuis le début.

- De quoi...

- En réalité, Thibaut s'est lui-même piégé, c'est écrit noir sur blanc, comme je vous le dis. Nous sommes amis, Thibaut. Un jour, vous avez été choisi, par hasard, pour être drogué, formaté, et intervenir ponctuellement dans la brigade de maintien de la paix sociale.

- La... la place de la Marquise !

- Exactement Thibaut. Nous étions opposés à ces lois, et, pour nous punir, le gouvernement a pris plusieurs d'entre nous pour lutter contre ceux qui restent.

- A... Alain ? Tu... ça a marché ?

- Oui Thibaut. Nous y sommes. Sans influence chimique, libres, en plein coeur du quartier de contrôle. Notre histoire s'est déroulée exactement comme tu l'avais prévu. Et comme c'était écrit. J'espère seulement que les autres ont réussi eux aussi. Au moins auront-ils essayé, et c'est bien là le plus important.

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