Au début, il n'y avait rien. Ou plutôt si, il y avait tout plein de paysans et de nomades. Les paysans cultivaient, et les nomades voyageaient. Et le monde allait comme ça, les uns avec des terres à ne plus savoir qu'en faire, et les autres avec une liberté n'accusant pas de frontières. Les premiers produisant assez de nourriture pour tout le monde.

Puis un jour, un paysan se dit "et pourquoi que j'aurais pas le droit de voyager moi aussi, plutôt que de me faire chier ici ?". Il mit la clef sous la porte, mais surtout dans sa poche, et partit. Mais, n'étant pas coutumier des voyages, il rebroussa très vite chemin. En effet, la nourriture vint à manquer, ses réserves pourrissant sur le dos de son âne. Alors, frustré, il rentra chez lui. Le soir même, il réfléchit. Comment faisaient les nomades ? Une seule solution se présenta, et il alla lui ouvrir. Les nomades profitaient de ce que les paysans produisaient, c'était évident. Alors, n'étant pas capable de surveiller tout son champ ni ses réserves, il en parla à son voisin. Lequel n'était pas idiot. Il comprit le problème et proposa au premier de s'associer avec lui pour produire autant, mais ne rien se laisser perdre.
Quelques années plus tard, d'autres paysans les avaient rejoints. Eux aussi voulaient profiter de la protection du petit regroupement. Seulement, à mesure que d'autres arrivaient de terres éloignées, la surveillance prit de plus en plus de temps. Ainsi fut construit le premier mur autour des réserves de nourriture. Bien sûr, les paysans en avaient bien trop pour pouvoir toutes les consommer avant qu'elles ne pourrissent, mais au moins personne ne leur mangerait l'orge sur le dos.

Le premier Hameau était formé, mais quelques autres suivirent.

Un jour, des nomades qui passaient par là (et crevaient sacrément la dalle) entendirent parler de la corne d'abondance. Ils se rendirent au hameau, et constatèrent par eux même le surplus de vivres qui se perdaient chaque jour. Alors, ils demandèrent aux paysans de les recevoir, et leur parlèrent d'un être supérieur, observant les faits et gestes de chacun d'entre eux afin de prendre une décision quand à ce qu'il ferait d'eux après leur mort, pour l'éternité. Les généreux et serviables auraient tout ce dont ils rêvaient, même si leur vie avait été pauvre, et les égoïstes et les cruels étaient torturés pour l'éternité. Il apparut alors aux paysans que la vie était bougrement courte face à l'éternité, surtout si durant celle-ci une douleur insupportable leur était infligée. Alors, dans le doute et puisqu'ils avaient des vivres en trop, ils décidèrent de partager. Les nomades furent obligés de poursuivre leurs mensonges afin de ne pas tarir la source. Alors, ils construisirent le plus beau des bâtiments, prétextant qu'il serait la résidence secondaire du Dieu, puisque c'est le nom qu'ils lui choisirent. Et ils s'installèrent et se firent entretenir des mois durant.
Mais lorsqu'un paysan leur dit pour la première fois "c'est bien beau de partager, mais vous, que faites-vous de vos journées ?", ils durent trouver une parade au plus vite. Ils inventèrent alors une nouvelle activité : la prière. Ainsi la fois suivante, ils répondirent "nous prions pour vous, mes enfants". Les paysans encaissèrent la surprise, se demandant ce qui leur valait d'être traités ainsi, et se risquèrent à demander "mais c'est quoi ?". Les nomades leur expliquèrent qu'ils communiquaient avec le divin pour attirer ses bonnes grâces sur le Hameau. "Ah bon, on peut faire ça ? - Mes enfant, vous oubliez que Dieu entend même ce que vous vous dites dans vos têtes !" Les paysans se promirent de ne plus se laisser aller à des rêves érotiques impliquant la fille du voisin, firent la moue, et partirent vendanger.

Le premier village venait d'être créé, mais beaucoup d'autres suivirent.

Plus tard, les nomades réussirent à convaincre les paysans de rester auprès de leurs terres pendant qu'eux veillaient sur les récoltes. Lorsque ce fut fait, ils invitèrent d'autres nomades à les rejoindre. Comme la place de serviteur de dieu était déjà prise et qu'il serait louche que Dieu ait besoin de plus de serviteurs que d'habitants dans le village, chacun se trouva un talent différent. Certains gribouillèrent, d'autres firent de la musique, d'autres encore se mirent à construire des outils, et tous devinrent artistes ou artisans. Ils construisirent un bâtiment pour les artistes, qu'ils nommèrent théâtre, pour présenter aux paysans ce qu'ils savaient faire. Ceux-ci se demandèrent bien vite pourquoi ils devraient les nourrir, ceux-là aussi. On leur répondit que les artistes étaient là pour détendre l'atmosphère et aider au repos des paysans. De même, les artisans voulaient seulement leur faciliter la vie avec leurs objets plus ou moins utiles. Eux aussi étaient donc venus pour servir les paysans en échange de nourriture. Et les paysans, qui aimaient bien les inventions des nomades, ne se posèrent pas plus de questions.

Le premier bourg était né, et de nombreux autres suivirent.

Devant toute cette masse de personnes, les derniers nomades se demandèrent ce qu'ils pourraient bien faire pour en croquer à leur tour. Ne sachant que jouer des mots, ils s'incrustèrent dans le bourg afin d'en manipuler les habitants pour qu'ils les tolèrent sans se poser de questions. Certains parvinrent même à devenir les premiers bourgmestres, puisqu'ils arrivaient à donner des ordres à tout le monde sans être contredits. Alors, ils ne se concentrèrent plus qu'à donner des conseils et des ordres à tous les autres. Les premiers hommes politiques étaient en train de naître. Plus tard, pour s'éviter de répéter sans arrêt les mêmes choses à tout un chacun, il fut édicté des lois que tout le monde dut suivre.

La première ville était née, et le principe se répandit comme une trainée de poudre.

Au fur et à mesure que les cités grandissaient, les gens comprirent qu'il devenait impossible de connaitre tous les autres habitants. Alors, si on ne les connaissait même pas, pourquoi leur devoir le respect ? Les gens se mirent à jeter dans la rue ce dont ils ne voulaient pas. Pourquoi nettoyer quand d'autres pourraient le faire ? Et tous se pourrirent la vie pour occuper leur temps libre.

De nos jours, une grande majorité d'Hommes vit dans une ville, sans même savoir s'il a un voisin. Alors, à quoi bon faire attention ?


Conclusion :
L'évolution, c'est croire qu'on est seul au monde : vivre seul, mais faire comme si ça n'avait aucune importance.
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