Quel dommage, si j'avais su...
Expression d'usage courant, ne voulant pas dire grand chose, à part peut-être qu'on regrette de n'avoir pas fait le bon choix. Mais la portée de cette simple phrase est telle et ses implications tellement faibles qu'on en est venu à l'utiliser pour tout et pour rien. Si j'avais su les numéros gagnants du loto, j'aurais joué moi aussi. Mais quel intérêt de faire cette réflexion ? Aucun. Aucun parce que de toutes façons rien n'est jamais certain. Même quand ça ne peut pas se passer autrement, "ça" ne se passe jamais comme prévu. La vie est faite d'incertitude et d'une multiplicité inquiétante de hasards qui font qu'elle a toujours une boule inattendue à lancer dans le jeu de quilles de nos certitudes. Et, une fois n'est pas coutume, tout ce chaos apparent est en réalité parfaitement organisé, orchestré par un cabinet de divinités à l'ironie plus ou moins manifeste.

Mais attention, il ne faut pas croire que ce terme professionnel témoigne d'une quelconque sévérité appliquée avec un implacable sérieux. Non, en fait, on se fend bien la poire là-haut. Je dis là-haut parce que les locaux sont situés au plus haut dans le bâtiment du paradis. En fait, pour vous expliquer succintement, les âmes et autres entités conscientes de l'au-delà sont classées des plus joyeuses aux plus sinistres. Et tout en haut il y a le Tout-Puissant évidemment, qui a autre chose à faire de s'occuper du monde puisqu'il a déjà à gérer cette tour immense qu'est devenu son Eden, puisque c'est le nom qu'il donnât à la construction. Le système de classement par jovialité, c'est une idée à lui justement, pour faciliter l'organisation de ce gigantesque building. Il n'est pas idiot, le Créateur, il s'entoure des plus gais lurons dans son énorme bureau perdu dans l'immensité céleste. Faut dire que c'est chiant comme la mort, le paradis, y'a de quoi déprimer quand on est pas entouré de quelques dizaines de bouts-en-train. Rien à faire, pas un objet intéressant, pas de cinéma dans le coin, pas une seule salle de jeux, ni même un jeu de cartes pour faire un solitaire. L'enfer, ce n'est ni la perversion, ni la torture, ni même la méchanceté. L'enfer, c'est le sous-sol du paradis, là où on trouve tous les emmerdeurs, tout ceux pour qui humour est synonyme de décadence et qui se feraient hara-kiri pour n'avoir pas su réprimer un pet, quitte à mourir d'aérophagie à la place. Ceux-là, dieu n'en veut pas et les place le plus loin de lui possible. Et avec eux les gens minables dont le danger dans une vie consiste à avoir mangé un yaourt le lendemain de sa date de péremption ou à avoir appelé un jour leur boulot pour dire qu'ils étaient malade et seraient absents alors qu'en fait, bien que malade, il se sentaient assez bien pour aller travailler, quelle honte. Dieu, donc, pour en revenir à lui, a donc choisi de s'entourer de gens imprévisibles qui endigueraient son ennui. Et parmi eux, il choisit les meilleurs pour s'occuper de règner sur le phénomène de hasard, et donc la chance. L'un d'eux s'appelle même Finagle, c'est dire s'il fait sa loi !

Alors, vous me direz, mais qu'est-ce que tout cela signifie ? Le hasard dépendrait donc du bon vouloir de personnes imprévisibles ? Et je vous répondrais que, parfaitement, c'est même comme ça qu'il est créé, ce hasard. Et j'ajouterais que vous n'avez franchement pas de quoi vous plaindre. Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez d'avoir accès au hasard. Sans lui vous regarderiez le monde se dérouler comme un mauvais film d'horreur, dans lequel le gentil gagne à la fin mais tous ses amis meurent un par un quand même, sauf sa chérie qui n'est que blessée peu avant la fin par LE méchant, individu isolé et très méchant. Parce que oui, la vie, ça se termine toujours par la mort, et si rien n'était laissé au hasard, elle ne serait plus que l'attente de celle-ci.

Nous avons donc notre petit groupe de fous furieux qui s'amusent à nous infliger les aléas les plus insoupçonnés à longueur de journée. Mais ils sont aidés en cela par le fait qu'ilspeuvent lire en nous comme dans un livre ouvert. Ou plutôt comme dans une base de données. Ils bénéficient en effet d'une sorte d'outil qui leur permet d'évaluer les probabilité d'apparition d'une situation précise et la conscience qu'en ont les concernés, ainsi que le pourcentage de personnes qui penchent pour que la dite situation engendre telle ou telle issue. A partir de là, il est aisé de faire en sorte que l'inverse se produise, mais le jeu n'est pas de toujours faire l'inverse, le risque étant de faire exploser les cerveaux humains, tiraillés par le fait que, l'inverse se produisant toujours, ils vont plutôt croire que c'est ce dernier qui va se produire, renversant ainsi le processus pour tomber finalement dans un cercle vicieux : si je pense noir, il va arriver blanc, donc je pense blanc, mais alors c'est noir qui va arriver, et explosion.
Donc, les fonctionnaires de l'éventualité son obligé de nous laisser "gagner" de temps en temps, à savoir que gagner signifie laisser la vie vide des viles vicissitudes qui habituellement vrillent la vis sans fin de la destinée. Autant dire que dans ces cas là, il vaut mieux être optimiste et s'attendre au meilleur afin d'éviter le pire.

Toutefois, il est intéressant de noter que l'expression "Le destin s'acharne" n'est pas une simple vue de l'esprit. Il existe en effet des personnalités avec lesquelles nos joyeux drilles aiment particulièrement jouer. Qu'ils sont taquins. Ces victimes finissent par avoir tellement l'habitude que rien ne se passe comme prévu, ni comme imprévu d'ailleurs, mais totalement différemment encore, que certains remettent leur vie entre les mains du hasard, développant alors une véritable addiction aux jeux d'argent, puisque l'argent fait la vie. Enfin, disons qu'il la laisse continuer son court, car ça ne dure jamais bien longtemps. L'argent ne nous rend pas heureux, il ne fait que nous épargner un peu plus l'inévitable issue funeste. Et qu'est-ce qui contrôle l'argent ? Le hasard pardi !

C'est ainsi que certaines personnes ont une vie faite de multiples malheurs mais gagnent une fois sur deux aux jeux de hasard, témoins vivants de l'ironie prononcée des régisseurs de la bonne fortune. D'autres ne gagnent pratiquement jamais rien et souffrent d'une vie médiocre, et un beau jour se retrouvent avec un pactole incroyable autant qu'inespéré. Toute ta famille est morte dans un accident de voiture, mais tu hérites de la fortune cachée de ton père et es à l'abri du besoin pour trois générations. Toutes nos félicitations, et nos condoléances. Mais bravo quand même. Mais il existe encore bien d'autres catégories de personnes, car tout le monde n'a pas une vie ennuyeuse, même si c'est le cas de la majorité.
Il y a par exemple le type qui foire tout dans sa vie. Il peut jouer à n'importe quoi, il sait qu'il va perdre. Il ne prend même plus la peine de vérifier si c'est bien attaché, il sait déjà que ça va tomber, et sur lui si possible. Quoi que ce soit, ça va lui tomber dessus, à lui. Même s'il n'est jamais dessous, il suffit qu'il passe pour que le hasard fasse que ce soit sur sa tronche que tout s'effondre. Et paradoxalement, cet enfoiré a une chance inouïe. Il n'a rien à faire, et tout lui tombe toujours tout cuit dans la bouche. Il peut traverser la route sans regarder et même sauter du dernier étage d'une tour immense, comme celle du paradis, il y aura forcément un courant ascendant pour le faire atterir indemne, et sur ses pieds s'il vous plait, vous serez gentils. Pourtant, il n'a jamais rien demandé ! Et il rend même jaloux les autres, alors que de son point de vue, il foire tout. Seulement voilà, les grandes lignes de sa vie sont bordées de deux lignes de dentelle tissée à l'or fin, et même si le contenu empeste la poisse, il est forcé de terminer comme il faut, avec les honneur et la dignité qui lui est dûe.

Malgré tout, il est bon de savoir que le choix des dieux n'est pas inévitable. En effet, ils ont tellement de positions hasardeuses à mettre en place qu'en général, ils bouclent l'affaire longtemps à l'avance. Et, avec un peu de chance, ce qui est curieux, il est toujours possible de sentir ce que l'avenir nous réserve. On appelle ça un pressentiment, une intuition, une prémonition, ou ce qu'on voudra, mais parfois on a beau être certain que tout ira bien comme prévu, on se doute déjà du petit truc qui va coincer. Heureusement, car c'est grâce à ça qu'on peut entrevoir plusieurs possibilités et sentir que quoi qu'il arrive, ce n'est pas nécessairement le pire.

Et comme ça, le jeu peut continuer, pour le plus grand plaisir des pontes du paradis ! Dont le grand patron lui-même, que votre cas intéresse tout autant que l'homme le plus riche du monde pour peu que votre vie soit divertissante. C'est peut-être pas la panacée, mais c'est déjà un moindre réconfort, non ?
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